À la rencontre du Ministre de l'Economie Sociale et de la Santé au Gouvernement de Wallonie

Médecin, épidémiologiste, Ministre de la Santé et de l’Économie sociale au Gouvernement de Wallonie, Yves Coppieters répond à nos questions.

Monsieur le Ministre, vous êtes en charge de l'économie sociale. Que pensez-vous de ce secteur ? Le voyez-vous comme une source de cohésion sociale ? D'innovation ? De résilience ?

En tant que Ministre de l’économie sociale, je peux regarder mes compétences de deux façons. Soit j’envisage cela sur le point de vue budgétaire et je vous dirais que l’économie sociale, c’est avant tout réduire les inégalités et réparer les manquements de l’économie conventionnelle. En effet, certains secteurs, certaines activités et certaines personnes ne sont pas « prêtes » à fonctionner dans l’économie conventionnelle et ont besoin d’être accompagnées. Soit j’envisage cela sur le point de vue de l’économie sociale au sens large en incluant tous les modèles alternatifs à l’économie sociale (tels que les coopératives) et toutes les innovations sociales permises en mettant l’humain au centre de la préoccupation entrepreneuriale.

Dans le premier point de vue, l’économie sert à réparer ce que l’économie conventionnelle n’arrive pas réaliser. Dans le second point de vue, l’économie sociale sert à innover dans des nouveaux modes de fonctionnement créant un nouveau contrat social qui n’est pas basé que sur la transaction économique classique. Et l’économie sociale, c’est aussi préfigurer l’économie de demain. C’est ce que mes collègues bruxellois regroupent sous le terme de transition économique.

Quels sont selon vous les défis auxquels la société est confrontée et que l'économie sociale peut adresser ?

Un des grands défis qui me tient à cœur est celui de l’alimentation durable. Depuis plusieurs années, la Wallonie a investi dans les questions de l’alimentation durable dans le cadre de la stratégie Food Wallonia. Je pense que nous devons avoir une grande ambition parce que les défis sont immenses et que tous nos concitoyens ont un rôle à jouer dans cette transition vers une alimentation de qualité.

De nombreuses initiatives sont apparues pour consommer localement. Des producteurs et des consommateurs se sont réunis en coopératives afin de faire avancer concrètement ces questions. Il y a eu un formidable élan au moment du Covid et nous devons aider à trouver un second souffle pérenne. Ces modèles coopératifs sont au cœur de ce que la Wallonie fait de mieux en économie sociale. Nous avons aidé de nombreux projets pour que ces nouveaux modèles puissent se développer. La Wallonie, avec l’aide l’Europe, est d’ailleurs en train de finaliser la fabrication de deux pôles circuit court (les hubs logistiques) à Liège et à Charleroi.

Selon vous, quels sont les enjeux budgétaires pour la Région wallonne d'une évolution vers plus d’économie sociale (ou vers moins) ?

Tout le monde trouvera son compte en allant vers plus d’économie sociale. Mais je ne veux pas non plus isoler l’économie sociale ou la mettre en concurrence avec l’économie conventionnelle. Cela n’aurait aucun sens.

Ce que veut faire le Gouvernement, c’est prendre le meilleur des deux mondes au bénéfice de tous. C’est dans ce sens que je prône depuis quelques mois que le grand atout de l’économie sociale, c’est qu’elle adapte le travail au travailleur et pas l’inverse. L’économie sociale est également efficace pour structurer les initiatives citoyennes au travers des coopératives. Mais cela reste compliqué. Le financement des investissements reste une prérogative de l’économie conventionnelle parce que les banquiers de l’économie classique ont du mal à comprendre l’économie sociale. Grâce à des acteurs comme Credal et W.Alter, les projets d’économie sociale trouvent du financement pour leurs projets. Je suis régulièrement surpris par la taille des entreprises d’économie sociale qui ont plusieurs centaines d’employés et sont actives dans de très nombreux secteurs économiques.

"L’économie sociale peut sortir des travers de l’économie conventionnelle."

Quelles seraient les conséquences auxquelles vous vous attendez si le modèle économique de "tout à la croissance" reste dominant (pauvreté, exclusion, insécurité, environnement)?

Comme je le disais, l’économie sociale joue un rôle de réparation de l’économie conventionnelle. Ce que vous appelez le modèle dominant, c’est celui qu’on a longtemps enseigné dans les écoles de commerce et dans les facultés d’économie. Le producteur veut maximiser son profit et le consommateur veut maximiser sa satisfaction.

L’économie sociale change ce paradigme parce que, précisément, les êtres humains dans leur très grande majorité, ne se réduisent pas à des entrepreneurs avides de profit et à des consommateurs qui ne cherchent qu’à s’enrichir en dépensant le moins possible.

Et c’est en cela que l’économie sociale peut sortir des travers de l’économie conventionnelle. Quand les entrepreneurs cherchent à valoriser leur personnel autant, voir plus, que leur argent, c’est de l’économie sociale. Quand les consommateurs achètent plus cher de l’alimentation de qualité auprès de producteurs locaux, c’est de l’économie sociale.

"Credal a un rôle fondamental en tant qu’agence conseil en économie sociale et en tant que fournisseur de microcrédits."

Les pouvoirs politiques ont souligné leur volonté de trouver les clés pour une remise à l'emploi de personnes actuellement au chômage ou en maladie longue durée. Pensez-vous que les missions de Crédal comme le microcrédit, et l'accompagnement à travers cet outil, peuvent faire partie de la réponse ?

La question du chômage et des maladies de longue durée est un problème complexe.

De nombreux ministres et gouvernements avant moi se sont attaqués à ce problème et ont tenté d’apporter des solutions plus ou moins efficaces pour le résoudre. La question des malades de longue durée me tient particulièrement à cœur car c’est au centre de mon métier passé et de mes compétences de santé publique. Dans de nombreuses politiques de prises en charge de ces publics précarisés et éloignés de l’emploi (quelle qu’en soit la raison), la question de l’accompagnement est fondamentale. Le Gouvernement est convaincu que l’accompagnement a un rôle à jouer pour ramener à l’emploi, pour réintégrer les personnes en maladie LD et, surtout, pour les maintenir à l’emploi. Je pense que Credal a un rôle fondamental en tant qu’agence conseil en économie sociale et en tant que fournisseur de microcrédits aux personnes qui n’ont pas accès aux financements classiques.

Vous avez décidé de renouveler des subventions en faveur des microcrédits personnels en Wallonie. Quels sont les éléments qui vous ont poussé à prendre cette décision?

Ne pas soutenir ces projets aurait été une erreur fondamentale. Mon collègue, le ministre Jeholet en charge de l’économie et de l’emploi, et moi-même l’avons bien compris et nous avons financé conjointement ce dispositif. Comme je le disais, les problèmes complexes nécessitent des solutions multiples. Le microcrédit personnel est un outil que nous devons pouvoir proposer à celles et ceux qui ont envie de développer leur projet mais qui n’ont pas accès au crédit classique. Tout le monde n’est pas « fait » pour travailler comme employé. Ce serait dommage de ne pas donner l’occasion à des personnes moins fortunées de pouvoir démontrer qu’elles font également de bons entrepreneurs.

J’ai beaucoup travaillé avec les pays du sud dans mon rôle de professeur de santé publique. A chaque fois, j’ai pu constater que les programmes que je mettais en œuvre ou que je supervisais avaient besoin de personnes pour les piloter et les pérenniser. Ces personnes, ce sont des entrepreneurs et il faut leur donner les moyens de prendre leur destin en main. Ce n’est pas pour rien que les premières initiatives de microcrédits ont vu le jour dans le sud. Ce sont souvent des projets très concrets et ancrés dans la réalité. Et qui ne demandent pas d’en financer 20 quand 10 suffisent.

"Je trouve inadmissible que des personnes doivent renoncer à des soins faute de revenus."

Vous êtes médecin et sensible naturellement à la santé. Chez Crédal, nous constatons de nombreuses demandes pour des petits crédits relatifs à la santé (lunettes, frais dentaires, frais de reconstruction après un cancer...). Que vous inspire cette situation ?

Je pense que c’est une vraie question de santé publique. C’est démontré que de nombreuses personnes reportent leurs soins faute de revenus suffisants. En tant que médecin, cela me questionne profondément car je suis convaincu que la prévention (de première ligne) est beaucoup plus puissante que le traitement (de seconde ligne). En tant que ministre, je dois apporter des solutions ambitieuses.

Pour reprendre vos trois exemples, je pense que les réponses sont très différentes. Les lunettes sont, en général, une obligation. A titre personnel, je dois bien me résoudre à porter des lunettes de vue pour lire et travailler. Ceci explique leur remboursement partiel par la sécurité sociale. Les soins dentaires sont l’exemple parfait dans lequel la prévention est beaucoup moins coûteuse que la réparation. C’est pour cela que la visite annuelle est remboursée. Pour la reconstruction mammaire, je pense qu’il est utile de rappeler que le dépistage est indispensable. Et là, je vous parle en tant que médecin et en tant que ministre.

Je trouve inadmissible que des personnes doivent renoncer à des soins faute de revenus. Et en tant que Ministre de l’Action sociale, j’aimerais que cela ne se produise plus. Mais, il s’agit d’une compétence fédérale et je dois donc porter ces questions au sein des CIM Santé, la coordination fédérale des différents ministres de la santé.

Crédal soutient les maisons médicales. Pensez-vous qu'elles apportent une réponse en termes de prévention et d'économies au niveau de la sécurité sociale ?

Les maisons médicales apportent bien plus que des soins et de la prévention. C’est un vrai moteur de cohésion sociale. Quant à savoir si cela apporte des économies au niveau de la sécurité sociale, je vous dirais que c’est un problème complexe. D’ailleurs, l’évaluation des impacts de nos politiques est une démarche que nous mettons en place à tous les niveaux. Dans notre stratégie de lutte contre la pauvreté, nous avons identifié la santé comme un levier important contre la précarité. Quand vous avez un emploi, un logement et que vous êtes en bonne santé, la probabilité d’être en situation de précarité est infiniment moindre que si un de ces éléments est absent. Une bonne santé est donc fondamentale tout comme un emploi et un logement décent. C’est aussi une manière de mettre la santé dans toutes nos politiques.

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