10 ans d'animation économique
Depuis dix ans, en marge de ses activités d’accompagnement, Crédal explore des secteurs économiques en crise et soutient le changement. Dans l’agriculture, le basculement vers des modèles agro-écologiques et collectifs est une priorité.
« Le gros de notre travail, c’est de quitter notre bureau » , résume Jérôme Rassart du département « Animation économique » . La rencontre n’a donc pas lieu dans une salle de réunion, entre une machine à café et un distributeur de gel hydro-alcoolique, mais au bord d’un champ à Anderlecht.
Des tomates sèchent au soleil ; des oignons sortent de terre; des fleurs fraîches partent en vélo-cargo vers la ville. Ces récoltes, faites à la main par des maraîchers en phase de test d’activité, sont aussi le fruit de dix ans d’efforts d’une équipe qui n’a pas eu peur de se salir les bottes.
Tout a commencé au sein du pôle « Accompagnement » de Crédal. Un poste de première ligne, où l’on accueille les entrepreneur.e.s en innovation sociale et leurs demandes de soutien. Depuis cet observatoire unique, Crédal identifiait des tendances de fonds, repérait des besoins. N’y avait-il pas moyen d’aller plus loin dans la transformation des modèles économiques, de rassembler des énergies, de soutenir les initiatives existantes et/ou de faire émerger de nouvelles dynamiques collectives ? Le département « Animation économique » était né. Sortir de son bureau était une évidence.
Quatre secteurs prioritaires ont été identifiés : l’agriculture, l’immobilier social, la culture et l’artisanat. Dès 2011, la dynamique s’enclenche autour du travail de la terre. Le contact avec des candidats-agriculteurs laisse entrevoir trois freins majeurs à leur installation : l’accès au foncier, la difficulté d’obtenir une rémunération juste et la disponibilité des capitaux. A chaque problème, son début de solution.

Retour à la terre
Un grand paradoxe sillonne le monde agricole : d’une part, les exploitants « en place » ne trouvent pas de repreneurs (en Wallonie, 67% d’entre eux ont plus de 50 ans et seulement 21% de ceux-ci ont un repreneur) et, d’autre part, les candidats à l’installation ne trouvent pas de terres agricoles disponibles (ou abordables). Entre les deux, l’industrie agroalimentaire se sert, construit des empires toujours plus grands et capte, au passage, les subsides européens.
Il était donc nécessaire de trouver une manière de récupérer des terres agricoles pour les mettre à disposition de projets plus durables et tournés vers la consommation locale. La coopérative Terre-en-vue, créée en 2012 avec le soutien de Crédal, a pour mission de faciliter l’accès à la terre pour des projets agro-écologiques. Elle soustrait le foncier à la spéculation, par l’achat et la gestion collective des terres, et met aujourd’hui l’accent sur une réorientation vers l’agriculture durable des propriétés appartenant aux pouvoirs publics locaux (communes, CPAS, fabriques d’églises…).
A Bruxelles, cette dynamique a donné lieu à un vaste projet appelé BoerenBruxselPaysans (BBP), réunissant différents acteurs (Crédal, Terre-en-Vue, Bruxelles Environnement, commune d’Anderlecht…) et financé par des fonds européens FEDER. Il a pour objectif de susciter la transition de la Région bruxelloise vers des systèmes alimentaires durables.
Concrètement, des terres communales faisant partie de la dernière grande zone agricole de la Région ont été récupérées pour des projets de maraîchage écologique à destination des Bruxellois. Des formations au maraîchage et un accompagnement à l’installation ont été mis en place.
Le prix des haricots
Crédal et son département Animation économique ont également soutenu la création en 2011 de la coopérative Agricovert, installée à Gembloux. L’idée était simple : si l’on veut promouvoir une agriculture locale, respectueuse de l’environnement, il faut aussi faire en sorte que la distribution et la vente soient respectueuses des producteurs. Autrement dit : que les prix soient justes et viables. Or, face aux géants de l’agroalimentaire, la rentabilité des « petits » est un vrai défi.
La coopérative a donc rassemblé des producteurs pour qu’ils mutualisent leurs forces et proposent, ensemble, une vaste gamme de produits bio. Avec les consommateurs, ils ont creusé de nouveaux canaux de distribution, pour diminuer les intermédiaires et augmenter les marges (paniers, vente directe aux comptoirs, points-dépôts, etc.). Depuis la création d’Agricovert, le modèle a essaimé partout en Wallonie et a déjà été reproduit plus d’une dizaine de fois.

Les pieds dans le changement, Crédal voit déjà plus loin et travaille désormais à la création de fermes collectives, sous forme de coopératives. Il s’agit de proposer un modèle qui cadre mieux avec le nouveau profil des candidats-agriculteurs (généralement non issus du monde rural) et avec leurs aspirations personnelles (rémunération juste, solidarité, travail en équipe, collectivisation des investissements, temps pour soi…).
Au cours de ces dix années d’exploration, l’équipe d’Animation économique a donc soutenu la création de nouvelles structures ou d’actions d’économie sociale. Mais elle a également identifié un besoin financier. Crédal octroie aujourd’hui des microcrédits « développement durable » , plus adaptés aux maraîchers, souvent mal-aimés des banquiers.
A Anderlecht, ces années d’efforts donnent des résultats visibles, dans la terre ou sous les serres. « On ne peut pas être présomptueux, insiste Thiago Nyssens, mais Crédal a clairement été sur la balle, avec les bonnes questions. » Les filières alimentaires méritent encore d’être bien secouées. Mais, ici, chaque coup de grelinette creuse dans la bonne direction.
Céline Gautier